Grasse est le berceau historique de la parfumerie. Pourtant, ces dernières décennies, elle n’en avait plus que quelques beaux restes. Dont les patrimoniales maisons Fragonard et Molinard, qui ne se sont jamais détournées de leurs alambics et qui cultivent, toujours avec autant de délicatesse que de fantaisie, leurs racines provençales. A l’initiative de Jacques Polge, Chanel y a noué, en 1987, un partenariat exclusif avec la famille Mull pour la culture de cinq fleurs – la rose de mai, le jasmin, l’Iris pallida, la tubéreuse et le géranium –, No 5 oblige! Plus récemment, après avoir restauré en 2016 le château de la Colle Noire, qui fut la résidence d’été de Christian Dior, LVMH a installé les ateliers de création de François Demachy, pour Dior, et de Jacques Cavallier-Belletrud, pour Louis Vuitton, dans une demeure du XVIIIe siècle, qui abrite l’une des quatorze fontaines de la ville, d’où son nom, Les Fontaines parfumées. Grasse revient en grâce, d’autant qu’en 2018, après dix ans de procédures et de lobbying, ses savoir-faire ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. Ses savoir-faire? La culture des plantes à parfum, la connaissance des matières premières et leur transformation, et l’art de composer les parfums. Toutefois, quand on arrive sur les hauteurs de la ville, il ne faut pas s’attendre à voir des champs de fleurs à perte de vue, ni à ce que l’air embaume sa célèbre rose. Les parcelles sont aujourd’hui totalement engoncées dans un tissu urbain dense, et c’est dans un lotissement de banlieue que la société International Flavors and Fragrances (IFF) ouvre, cette année, Parfum Paris son Atelier du parfumeur. N’empêche… En 2017, le numéro un mondial de la composition rachetait la société de création de parfums fondée par le parfumeur Pierre Bourdon, Fragrances Ressources. «A l’origine, ce qui intéressait le groupe, c’étaient ses bureaux au Brésil et en Chine. Nous pensions fermer la structure grassoise, mais quand je suis venue, j’ai eu un tel coup de cœur, que ce n’était plus possible», raconte Sabrya Meflah, directrice générale Parfumerie Fine Europe, Afrique, Moyen-Orient. Il lui a fallu deux ans pour convaincre le board. Et innover. Chose faite, l’Atelier du parfumeur est une résidence d’artistes… pour parfumeurs. «La création est un processus immatériel dans lequel, si l’on veut faire de l’hyperpremium, du made in Grasse, le nez doit être au centre de notre préoccupation, poursuit-elle. Etant donné le nombre des projets, leurs répétitions, la pression du marché, il fallait un lieu où ils puissent se déconnecter du corporate, se ressourcer pour générer de nouvelles belles propositions.» Ce qui ne veut pas dire que l’équipe des parfumeurs d’IFF a déménagé de Neuilly à Grasse. «Ils y viennent quand ils se sentent en épuisement créatif», précise Sabrya Meflah. Voilà qui marque une véritable inflexion dans le fonctionnement de cette industrie phagocytaire de talents. Voilà qui remet aussi la création au centre du parfum, qui lui redonne du sens, et offre (enfin) aux parfumeurs la possibilité de se faire entendre. Ce changement est sans aucun doute une conséquence heureuse de l’explosion de la parfumerie de niche. Par ses concepts originaux qui font de la composition sa raison d’être, celle-ci a poussé toute l’industrie à se remettre en question.
Au cœur de la nature
Le besoin de naturalité et de responsabilité écologique qui souffle sur la planète n’épargne pas ce secteur. Comme le prouvent les 80% des consommateurs occidentaux désireux d’un parfum naturel. Les composants synthétiques sont diabolisés alors que la nature peut être tout autant allergisante. Et que veut dire naturel? S’agit-il d’une odeur naturelle? Parle-t-on d’émotion ? de santé ? Les réflexions et les chantiers sont en cours. Toutes les sociétés de composition travaillent désormais sur leur responsabilité sociale, environnementale et éthique. Si, à Grasse, cela coule plus ou moins de source, dans les pays producteurs d’essences comme l’Inde, par exemple, où IFF se fournit en vétiver, l’industrie sécurise ses approvisionnements en convertissant les agriculteurs avec lesquelles elle est sous contrat à l’agriculture biologique et en leur garantissant des revenus réguliers. Transparence et traçabilité sont au cahier des charges.
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